Le Bioparc Nord
Intégrer quartiers et villages marseillais dans un système vivant
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Avec plus de 120 000 habitants intégrés à la géographie prioritaire de la politique de la ville, les Quartiers Nord de Marseille représentent le deuxième territoire prioritaire le plus peuplé du pays. Dans ces quartiers, plus d’une personne sur deux vit sous le seuil de pauvreté, que ce soit au sein des quartiers anciens ou des grands ensembles. La crise sanitaire et les récentes révoltes ont mis en évidence l’accentuation des situations de précarité dans les quartiers prioritaires : mal-logement, difficulté d’accès à l’emploi, aux services publics, aux droits et à la santé ; vulnérabilités aux crises sanitaires, climatiques, et économiques ; exclusion numérique et ostracisation banalisée.
La crise climatique, dont les conséquences les plus désastreuses restent à venir, constitue autant un horizon sombre qu’une perspective de réorientation de la politique de la ville. La transition écologique est un levier pertinent pour tenter d’appréhender la politique de la ville sous un nouvel angle.
Avec le projet du Bioparc Nord, nous avons essayé de matérialiser trois ambitions :
Conceptualiser un dispositif technique, politique et opérationnel transversal et intégrateur, pour décloisonner l’action de la politique de la ville ;
Faire émerger une nouvelle vision des Quartiers Nord par le paysage pour dépasser le sujet des infrastructures ;
Enfin, donner à voir des solutions concrètes, des « opérations levier », d’ampleur et de complexité variées, à même de s’ajuster à la difficulté de la tâche.
Matérialiser le projet de territoire des quartiers Nord de Marseille par l’intermédiaire d’un grand parc, pour redéployer les continuités écologiques du ruisseau des Aygalades et mettre en valeur les ressources urbaines et urbaines des quartiers.
Retisser les liens
Le Bioparc Nord ne se définit pas à l’aune de ses frontières. Par commodité de lecture et pour faciliter le repérage, nous lui avons attribué un périmètre, dont les contours consituent une membrane : perméable, mouvant et active. Il doit être représentatif de ce que forment les quartiers Nord : un territoire qui n’est ni circonscrit, ni contenu, qui est le fait d’un ensemble de domaines, de relations, de ressources, et de lieux qui évolue dans l’espace et dans le temps pour déborder du cadre administratif qui lui a été attribué.
Notre proposition suppose que les domaines, relations et ressources évoquées sont autant d’ordre matériel qu’immatériel. Par conséquent, la question du lien au sein du Bioparc Nord est autant d’ordre géographique – pour permettre aux habitants d’accéder aux ressources dont ils ont besoin, par exemple – que d’ordre social et politique.
Dans un territoire où l’on dénombre pas moins de neuf quartiers prioritaires différents (hors Canet/Arnavaux), l’enjeu est de dépasser les limites de périmètres, de mutualiser les ingénieries, et de marier politique de la ville et politique de droit commun. Surtout, le caractère opérant du Bioparc Nord se trouvera dans de nouvelles formes de citoyenneté active, qui exigent de repenser la gouvernance des projets urbains, et de considérer les habitants comme des acteurs capables de coopérer, partager des responsabilités et participer activement au gouvernement de leur territoire.
Par conséquent, le Bioparc Nord est un projet de territoire. Plus qu’un dispositif technique, c’est un dispositif social. Plus qu’un modèle d’organisation spatiale, c’est un modèle d’organisation humaine.
Ménager des porosités
Nous partons du constat que les processus de gouvernance verticaux et descendants sont souvent en décalage avec les besoins et attentes des populations locales, quand elles ne viennent pas s’opposer frontalement aux initiatives d’origine communautaire préexistantes.
La gouvernance du projet de territoire doit s’ouvrir à une grande diversité d’acteurs, et faciliter leur mouvement à mesure de l’avancement du projet : il s’agit d’organiser l’alliance des professionnels de la ville avec les citoyens, les usagers, les associations, les acteurs économiques et associatifs, ainsi que tous les acteurs de terrain au service de l’intérêt général (enseignants, professionnels de santé, services sociaux, éducateurs etc.).
Cette proposition répond à la nécessité d’articuler par le projet du Bioparc la grande et la petite échelle ; de donner aux institutions publiques un mandat d’arbitre, garant de l’intérêt général, accompagnant l’action collective pour mieux déléguer le pilotage du projet à une alliance hybride telle que décrite ci-avant.
Localement, les quartiers du Bioparc Nord s’inscrivent dans une grande région métropolitaine. Les systèmes d’échanges, parfois sous-estimés, avec les autres quartiers et arrondissements de Marseille, les communes voisines, et le reste de la Métropole sont complexes.
Les conditions d’accès aux ressources voisines, autant que la valorisation des ressources internes contribuant au rayonnement du Bioparc, de l’échelle locale à celle du bassin méditerranéen, mettent en lumière le besoin de penser le Bioparc comme un système ouvert plutôt que comme une entité homogène fonctionnant en vase clos.
Réinventer les Proximités
Les banlieues, à Marseille Nord comme ailleurs, pâtissent d’un écart croissant entre la réalité de leurs problématiques et la réponse apportée par les politiques d’aménagement, de développement, d’équipement et d’insertion. La marginalisation de la place de la politique de la ville au profit de nouveaux dispositifs nationaux met en évidence un détournement du regard institutionnel, alors même que les difficultés perdurent.
Poser le diagnostic de cet affaiblissement n’est pas l’objet de la présente proposition.
Des politiques ambitieuses et intégratrices peuvent cependant être reconstituées, en réinventant les proximités. Ces proximités sont de deux natures :
Des proximités politiques et sociales : les difficultés des quartiers prioritaires ne seront pas résolues par la seule transformation du cadre de vie.
L’ampleur du défi et la richesse des ressources présentes nous oblige, en tant que professionnels, à comprendre le complexité des métabolismes locaux, et la grande diversité des leviers à actionner pour transformer la vie des habitants des Quartiers Nord.
Le Bioparc Nord est un dispositif ascendant, un outil fédérateur. Il réunit aussi bien des personnes, des acteurs, des quartiers, des politiques, des initiatives... En sens inverse, les ambitions du Bioparc Nord devront trouver à se concrétiser localement. L’échelle des proximités constitue une métrique de référence, celle de l’expérimentation, de la mise en œuvre, celle de l’atterrissage du projet de territoire.
Un projet, pour qu’il se réalise vraiment, doit être observable. Il ne peut être défini à l’écart de celles et ceux qui sont censés en être les bénéficiaires. Ils se fait avec les populations concernées. Le processus décisionnel est aussi important que le résultat final. Le Bioparc Nord vise à agir sur et améliorer les conditions, le cadre, les modes et les rythmes de vie des habitants.
L’échelle des proximités est essentielle car c’est l’échelle de l’expérience humaine, celle de la vie quotidienne. Elle constitue une métrique de référence, à partir de laquelle les différentes actions matérialisant le projet du Bioparc Nord se déploieront, seront observées, appropriées et évaluées par les acteurs et les populations impliquées dans cette aventure commune.
La manufacture, emblème du renouveau bergeracois
L’intérêt de la collectivité pour la Manufacture des Tabacs s’est manifesté dès le lancement de l’étude, qui portait initialement sur le périmètre du quartier de gare. Rapidement, nous avons identifié avec la collectivité l’importance stratégique du site. Les bâtiments étant alors en cours de désaffectation par une entreprise locale, la ville en fit l’acquisition courant 2021. Ensuite, un groupe de travail associant les chefs de projet de l’agence, élus et techniciens de la ville, et les acteurs du développement économique et de la vie associative locale ont engagé un travail commun sur le devenir du site de la Manufacture.
Avec un investissement initial modeste, la sécurisation et le gardiennage sont rapidement devenus les priorités de la collectivité. Si la recherche d’un preneur unique a d’abord été privilégié, le vif intérêt de nombreuses structures pour le site et son potentiel ont orienté le groupe de travail vers une programmation hybride, et ont mené la collectivité à la contractualisation d’une occupation transitoire avec l’association la Traverse, regroupant acteurs de l’ESS, associatifs, commerçants, artistes et artisans et professions libérales.
Trois axes d’utilité publique ont été définis comme objectifs de reconversion du site :
L’insertion professionnelle et l’enseignement supérieur ;
Le développement économique ;
La médiation scientifique et culturelle ;
Des ateliers multipartenariaux se sont tenus pour travailler à une programmation des différentes parties du bâtiment.
Autour des piliers thématiques, une vocation transversale est déterminée : faire de la Manufacture un générateur d’interactions et de décloisonnement entre la formation, l’emploi et les loisirs. En résulte un lieu hybride, à vivre quotidiennement, polarité d’une ville qui se réinvente. Trois programmes transversaux sont déployés : la Fabrique regroupe les surfaces allouées à la formation aux techniques et métiers d’art et d’artisanat ; le Living Lab concentre les programmes liés à l’accueil des publics, à l’animation du site et aux services du quotidien ; le Hub est un espace dédié à l’enseignement supérieur et à la facilitation à la création d’entreprise.
L’occupation transitoire est effective depuis début 2023 sur les RDC des bâtiments. L’enjeu est maintenant selon nous de faire de ces nouvelles ressources une base pour développer de nouveaux usages, de nouvelles occupations, de nouvelles synergies pour une montée en régime progressive du site, et l’ancrer dans le quartier comme un lieu de vie pour les habitants et usagers.
Reconvertir le foncier commercial, une stratégie au long cours
Le sujet des fonciers commerciaux situés dans les zones d’activité commerciales est récemment devenu d’actualité, suite aux annonces gouvernementales et à la transformation de nombreuses foncières commerciales issus de groupes de la grande distribution en opérateurs urbains d’un nouveau genre.
Ces acteurs ne s’y trompent pas ; ces fonciers sont désormais stratégiques. À Anglet, sur le secteur de la ZACOM de Cadran, plusieurs emprises commerciales sont identifiées comme des secteurs mutables au profit d’opérations de renouvellement urbain. Dans un premier temps, la volonté de la collectivité a été de tester la faisabilité d’une action foncière volontariste. Tout logique d’appropriation foncière se heurte à un double mécanisme très contraignant : d’une part, les fonciers, parmi les derniers mutables sur le territoire communal, a une valeur vénale élevée. D’autre part, toute forme d’acquisition, amiable ou non, exigerait de payer des frais d’éviction faisant grimper le coût de la maitrise foncière de façon exponentielle. Face à cette impasse, nous avons décidé d’esquisser une stratégie différente.
Trois situations doivent être identifiées : celle où le commerce cesse son activité, où la libération foncière est facilité. Celle où le commerce négocie, accepte de se déplacer ou de participer à une opération dite partenariale. Enfin, la situation où le commerce souhaite continuer son activité en l’état. Trois niveaux de dureté foncière donnent, avant même toute idée de projet, l’état des possibles.
D’un point de vue opérationnel, il s’est agi d’identifier et délimiter les emprises nécessaires à la ville pour réaliser ses programmes d’intérêt général ; ici en particulier les terrains destinés à la recomposition d’un dispositif hydrologique efficace. En d’autres termes, nous avons posé un schéma de référence des espaces publics, adossés à des réservations nécessaires à la mise en oeuvre du schéma. Il s’agit à ce moment-là de limiter les acquisitions, en particulier les emprises constructibles.
Dans la continuité du schéma de référence, des lots se sont dégagés, sur la base des intentions connues des opérateurs, des acquisitions réalisées par l’EPF et des emprises commerciales existantes. Ces lots constituent un plan-guide foncier, donnant à voir les périmètres opérationnels du renouvellement urbain. À ce stade, l’enjeu n’est pas de fixer des formes urbaines, ni une identité architecturale, mais bien de différencier les périmètres de développement (MOA à déterminer) des périmètres d’aménagement (public).
Sur chacun de ces lots, l’objectif est désormais de fixer des préconisations et des objectifs programmatiques sur la base des droits à bâtir offerts par le PLU, du dispositif environnemental et hydrologique, et de prescriptions architecturales, urbaines et paysagères inscrites dans chaque fiche de lot. Pour baliser le projet, ces prescriptions pourront se retrouver dans une OAP, un zonage spécifique de projet ou dans des conventions destinées à négocier la cession des lots.
In fine, il semble important de comprendre que la faisabilité des opérations de renouvellement urbain sur des fonciers commerciaux tient de l’ajustement conjoint de trois curseurs :
La régle d’urbanisme, les droits à bâtir et les prescriptions qui en découlent ;
Le programme de l’opération (sa composition qualitative - les types de programmes - et quantitatives - les m2 constructibles) ;
Les charges foncières.
Aujourd’hui les charges foncières constituent un poste important de dépense. En agissant sur la règle et sur le programme, l’enjeu pour la collectivité est de créer un cadre d’action partenariale et de négociation favorable à la réalisation de programmes d’intérêt général. Pour ce faire, la mobilisation d’un panel d’outils diversifié, à différents stades du projet, devra permettre de créer les conditions d’une maitrise des valeurs foncières, en limitant les perspectives de spéculation par la maitrise des programmes de sortie et le contrôle des possibilités de densification.